LE RETOUR
 

Un matin, à l’hôpital, j’apprends que je suis désigné avec mon camarade GRUE, pour être rapatrié sanitaire en Métropole sur un navire hôpital américain, le USS " HAVEN ", prêté à l’Armée Française. Bien sûr, nous sommes très enviés de bénéficier de la belle vie américaine...

Aussi, avec GRUE, nous nous préparons sérieusement à ce voyage, en achetant quelques bouteilles de champagne, car nous supposons que sur un navire hôpital, américain de surcroît, il doit inévitablement y avoir une grande quantité d’infirmières...

Le lendemain 10 Septembre, nous sommes conduits au port, où nous attend un superbe bateau blanc. C’est un véritable hôpital, très complet, autour duquel on a construit un bateau pour la guerre de Corée qui vient de se terminer, et non pas comme en France, un paquebot classique que l’on transforme plus ou moins bien en navire hôpital et que l’on repeint en blanc.

A peine arrivés à bord, nous sommes déshabillés, et on nous distribue un pyjama, une robe de chambre, des pantoufles, des cigarettes et du chewing-gum, ainsi qu’un petit sac avec tous les ustensiles de toilette nécessaires. Quant à nos affaires, avec nos valises contenant nos précieuses bouteilles de champagne, elles disparaissent dans les cales du navire...

Nous essayons de parlementer, en expliquant (avec une certaine mauvaise foi), que nous avons de la lecture dans les valises, les américains nous répondent imperturbablement qu’ils ont prévu une bibliothèque en français... C’était vrai ! La partie réservée aux officiers n’est pas très importante, car nous ne sommes qu’une douzaine. Nous avons des cabines à deux, une salle à manger très correcte, l’air conditionné, un service de qualité et une large partie du pont supérieur pour nous promener et prendre l’air.

Par contre il n’y a pas l’ombre d’une infirmière... Uniquement des infirmiers, taillés comme des joueurs de Rugby, qui nous collent chaque matin à 7h un thermomètre dans la bouche...

Du côté nourriture, c’est moins brillant, très correct mais très américain et il faut s’y faire et bien sûr sans la moindre goutte de vin ou de boisson alcoolisée. Nous apprenons ainsi que l’alcool et strictement prohibé sur tous les bateaux de la Marine militaire U.S., sous peine de sanctions très lourdes. Nous avons une pensée émue pour notre champagne qui dort quelque part dans le bateau. En fait, quand nous récupérerons nos affaires à l’arrivée, nous constaterons que le champagne a disparu ! Un marin malin a dû enfreindre les règles draconiennes de la Marine U.S.

Le service à table et des cabines est assuré par des philippins très stylés, et le temps passe à se promener sur le pont, à lire sur nos chaises-longues, et après dîner regarder des films (en V.O) projetés dans notre salle à manger. Mais le temps nous paraît tout de même un peu long.

Sur le bateau, il y a également 800 sous-officiers et hommes de troupe, certains gravement atteints, qui vont poser quelques problèmes aux américains.

Le Capitaine U.S., responsable de la discipline à bord, le " Master at arms " nous demande avec inquiétude comment il faut faire pour que les soldats français acceptent de donner chaque jour un coup de balai, dans leur cabines à 6 ou 8 lits. Évidemment tous ces malades et blessés représentent tout l’éventail de notre armée : français, légionnaires, nord-africains, noirs, etc... De quoi faire perdre son latin au bon américain moyen.

Nous conseillons de regrouper dans la même chambrée, les hommes de même origine, d’y mettre un gradé à eux, chef de chambre, et de le tenir pour responsable de la discipline et... du balayage. Mais, ils ont dû penser que nous étions des arriérés et ils n’ont pas suivi nos conseils. Je ne suis pas certain que les cabines aient été balayées de tout le voyage.

D’autre part, toutes les coursives et couloirs étaient en sens unique, avec des panneaux style " circulation routière " là encore ces incorrigibles français, semblaient prendre un malin plaisir à toujours circuler à contresens...

Enfin, la grande distraction du voyage a été le phénomène de la " vente à bord ". Il y avait sur le bateau comme chez nous, un " Foyer " qui vendait des articles qui nous paraissaient extraordinaires. Comme nous avions de l’argent sur nous, chacun a fait des emplettes. pour ma part j’ai acheté un stylo PARKER 51 et un appareil photo.

Mais les américains ont flairé qu’il y avait de bonnes affaires à réaliser. Ils ont alors mis en vente... le magasin d’habillement du bateau... Serviettes de toilettes, chemises, pantalons tout est parti en quelques jours, tandis qu’à l’entrée du magasin, un marin U.S. avec une machine à calculer faisait office de bureau de change.

Quand le bateau a doublé SINGAPOUR, les américains se sont aperçus que nous étions tout près de l'Équateur. Le Commandant a donc décidé de faire un petit crochet vers le Sud, pour franchir la " ligne " et pouvoir procéder au traditionnel " baptême de la ligne ".

L’équipage a fait une grande fête à bord, avec toutes les pitreries et déguisements habituels, mais sans champagne. Les malades et blessés en ont été exemptés. Par contre, le lendemain, l’imprimerie du bateau avait édité pour chacun d’entre nous, un superbe diplôme d’entrée au royaume de Neptune, signé personnellement par le Commandant, et que je possède toujours.

Mais en approchant du terme du voyage, la tension montait, certes pour nous d’abord qui allions retrouver nos familles après une si longue absence, mais aussi pour l’équipage qui allait faire escale en France pour la première fois. Aussi, notre ami, le Master at arms, s’apercevant que j’étais originaire de Marseille et qu’un autre Lieutenant était originaire de Nice, nous a demandé de faire pour son usage personnel, un petit papier avec un plan et en indiquant ce qu’il fallait voir, acheter, manger, boire, etc... Malgré les années qui avaient passé, en s’y mettant tous, nous lui avons fait un petit topo sommaire, avec l’essentiel, et il est parti tout heureux.

Deux jours après, Quelle n’a pas été notre stupéfaction de constater que notre travail avait été tapé à la machine, imprimé et distribué à tout l’équipage...

En attendant, nous franchissons le Canal de Suez sans encombre et nous nous dirigeons vers ORAN, faire escale au port militaire de MERS-el-KEBIR, pour débarquer tous les nord-africains.

Nous voulons profiter de l’escale relativement courte, pour aller à terre, ne serait-ce que pour manger un steak-frites et boire un verre de vin. Mais les américains s’y opposent pour je ne sais quelle raison. Nous leur expliquons que nous avons de la famille en Algérie, qui une grand-mère, qui un frère, un oncle, etc... c’est parfaitement faux, mais ça marche ! Le temps de récupérer nos tenues, nous voilà à terre, nous sautons dans un taxi pour ORAN. Nous mangeons notre steak-frites, accompagné d’une bonne bouteille et nous retournons dare-dare au bateau, en remerciant mille fois les américains d’avoir accepté de nous laisser aller embrasser nos familles...

Le bateau repart et nous arriverons à Marseille le 4 Octobre 1954. Il fait beau, la Bonne Mère brille au soleil, nous sommes tous très émus. Il y a beaucoup de monde sur le quai : parents, épouses et enfants, amis. Il y a aussi une inévitable musique militaire.

Dans la cohue, j’ai juste le temps d’embrasser mes parents qui ne m’ont pas revu depuis 6 ans, et qui n’ont pas su qu’au printemps 1951 j’étais prisonnier, alors qu’auparavant et depuis Octobre 1950 j’étais " disparu "...

Je suis récupéré par les autorités médicales mis en ambulance et dirigé sur l'Hôpital militaire Michel LEVY, rue de LODI, tout près de la maison où j’habitais pendant ma petite enfance. J’y subi des soins intensifs de déparasitage, avec certainement un remède de cheval, qui me met groggy pendant trois jours.

Enfin, après 10 jours d’hôpital, je peux enfin sortir avec 6 mois de congé de convalescence et de " fin de campagne ".

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